Repenser la pédagogie tout en repensant l’espace, c’est cette double entrée que l’on explore dans les classes depuis plusieurs années avec la classe mutuelle. À travers le jeu, il est possible d’expérimenter de nouvelles formes de pédagogie afin de favoriser le travail en groupe des élèves.
Remodeler sa salle de classe et sa pédagogie, des idées pour faire évoluer la forme scolaire – Éditions Réseau Canopé – Collection AGIR 2019 – 148 pages – ISBN 978-2-240-05215-5 (existe en version print et numérique)
Professeur agrégé en lycée, l’auteur est également doctorant en sciences de l’éducation à l’université Paris-Descartes. Il développe sa conception de la forme scolaire au travers de son site internet, qui héberge notamment un forum dédié à la classe mutuelle.
L’apprentissage par le jeu est un concept pédagogique qui résulte de la ludification, c’est-à-dire de l’introduction des mécanismes du jeu dans un espace, un temps et une activité réputés non ludiques. Dans le design éducatif, le lieu est la salle de classe, le temps est celui de la leçon et l’activité est celle de l’apprentissage. Jouer pour apprendre, telle est la philosophie de la ludification au service de l’éducation.
Ainsi peut-on lire dans Les Lois, livre premier, dernier des dialogues du philosophe Platon : « En un mot, il faut qu’au moyen des jeux [le maître] tourne le goût et l’inclination de l’enfant vers le but qu’il doit atteindre pour remplir sa destinée. » Une idée qui traverse les siècles avec plus ou moins de succès.
Guère en odeur de sainteté au Moyen Âge, le jeu pédagogique ressuscite à la Renaissance. Rabelais fait apprendre les mathématiques à Gargantua en 1534, au travers de méthodes attrayantes, « par récréation et amusement » ; Gargantua s’instruit à l’aide de cartes, « des cartes, non pour jouer, mais pour y apprendre mille petits amusements et inventions nouvelles, lesquels découlaient tous de l’arithmétique ». Des cartes à jouer éducatives ? C’est très précisément l’idée de Thomas Murner, qui fait éditer vers 1507 des jeux de 52 cartes en couleurs pour enseigner la philosophie et le droit romain. Les progrès des élèves sont tels que l’on soupçonne Thomas Murner de magie ! Montaigne considère que « les jeux des enfants ne sont pas des jeux, et les faut juger en eux comme leurs plus sérieuses actions ».
Au XVIIe siècle, le jeune Louis XIV apprend, sur recommandation de Mazarin, l’histoire et la géographie au travers de jeux pédagogiques produits à son intention.
Durant le Grand Siècle, un jeu de parcours se popularise, c’est le célèbre jeu de l’oie dont les versions pédagogiques vont rapidement faire florès pour apprendre la religion, l’histoire, la géographie, la grammaire, la morale, etc. Le philosophe anglais John Locke propose en 1693, dans son traité Quelques pensées sur l’éducation, la fabrication d’une boule d’ivoire à 32 faces pour rendre l’apprentissage de la lecture ludique. Ce traité influencera toute l’Europe du siècle des Lumières.
La fin du XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle voient l’avènement du courant de l’Éducation nouvelle, qui démocratise le concept du jeu pédagogique ; c’est notamment le cas des travaux de Maria Montessori et d’Ovide Decroly. Cependant, Célestin Freinet montre des réserves quant aux principes du « jeu-travail », préférant le « travail-jeu ». Le jeu devient « sérieux ».
Le XXe siècle apporte également une caution scientifique au jeu dans le domaine de l’éducation. De nombreuses recherches ont validé les effets positifs du jeu sur l’apprentissage.
Les travaux des chercheurs Louise Sauvé, Lise Renaud et Mathieu Gauvin, en 2007, mettent en évidence que le jeu favorise :
- Le développement d’habiletés de collaboration et de communication.
- La motivation à l’apprentissage et le soutien à l’estime de soi.
- Le développement d’habiletés en résolution de problèmes.
- La structuration des connaissances.
- L’intégration de l’information.
Le jeu et la forme préscolaire
Il convient de clarifier le terme « jeu », dont l’acception diffère selon la situation. Gilles Brougère, enseignant-chercheur en sciences de l’éducation, propose cinq critères pour circonscrire les frontières du jeu :
- Le second degré qui donne à l’activité sa signification ludique.
- La décision, celle de débuter ou de terminer le jeu.
- La règle qui structure l’activité ludique.
- La frivolité qui fait du jeu une activité gratuite.
- L’incertitude, car l’issue d’un jeu est par essence incertaine.
Traditionnellement, la forme scolaire réserve une place au jeu, le moment de la récréation. Un « temps-exutoire » en opposition avec le « temps-classe ». Selon Gilles Brougère, « intégrer le jeu dans le curriculum, c’est une façon de rompre avec la forme scolaire au profit d’une forme préscolaire ».
Cette forme préscolaire résulte d’une association entre forme ludique et forme éducative. Le jeu a toute sa place, mais sous réserve d’afficher explicitement sa dimension éducative.
Ce sont les cartes de Gargantua pour apprendre les mathématiques, le jeu de l’oie éducatif ou encore la boule en ivoire de John Locke. De nos jours, le défi est d’oser franchir le Rubik’s Cube, tant la place du jeu à l’école est fragile en France.
Le jeu est usité en école maternelle, ainsi qu’en primaire, et il a toute sa place dans l’enseignement secondaire.
Souvent, la frivolité du jeu est bloquante pour les adultes, pas pour les élèves-joueurs. La minimisation des conséquences participe au plaisir. Il est parfois nécessaire de transgresser la forme scolaire par le jeu éducatif en classe.
La règle du jeu
Le jeu est particulièrement intéressant en début d’année scolaire pour souder le groupe-classe. C’est une façon décalée de débuter l’année. Le jeu est aussi un support de choix pour sensibiliser les élèves à la collaboration.
Une règle essentielle est d’afficher explicitement la dimension éducative du jeu. Ne pas le faire risquerait de mettre en œuvre une « pédagogie invisible ».
Stéphane Bonnéry, chercheur en sciences de l’éducation, illustre ce risque avec l’exemple d’un élève de 6e amené à réaliser une activité en géographie. L’objectif visible est de colorier une carte, tandis que l’objectif invisible est de symboliser les reliefs. Il est essentiel que l’enseignant explicite l’objectif pédagogique des activités.
Un exemple d’activité à mener avec vos élèves
Le jeu qui suit est un exemple d’activités « brise-glace » conçues pour favoriser l’esprit d’équipe et la communication en groupe.
Chacun porte un ou plusieurs enseignements pédagogiques qu’il faudra discuter lors d’un bilan après le jeu.
Ces jeux permettent d’aborder des thématiques telles que la gestion de groupe, le travail d’équipe, et la collaboration. Certains jeux se jouent à quelques participants, il est donc possible de constituer plusieurs groupes.
Ces jeux peuvent être utilisés toute l’année, mais sont particulièrement pertinents au moment de la rentrée des classes.
MOTS-CLÉS
collaboration – entraide – coordination – écoute – recherche de solutions – communication
PRINCIPE
Les participants doivent poser le plus rapidement possible un bâton à terre, en le maintenant horizontalement, en utilisant uniquement leurs deux index.
ORGANISATION
- Utiliser un bâton ou une règle.
- Diviser les participants en deux groupes.
- Inviter les participants à pointer leurs index vers la personne en face d’eux.
- Mettre en place le bâton sur les index des participants.
- Attention, le bâton doit rester horizontal.
- Il est interdit d’attraper le bâton.
EXPLOITATION DU JEU
Ce jeu met en exergue l’importance de la coordination de groupe pour atteindre un objectif.
La prise de conscience du collectif est nécessaire pour réussir cet exercice révélateur.
C’est un peu la même logique pour le bruit en classe : un comportement individualiste peut mener à une amplification du bruit.
Lorsque le groupe se pose et réfléchit ensemble, alors l’objectif peut être atteint.
« Ce jeu fait partie de mes favoris, tant en cours qu’en formation. »
Comment les enseignants évaluent-ils les raisons de l’échec ou de la réussite de leurs élèves ? Une enquête leur donne la parole, et le rôle de la famille y apparaît comme essentiel.